Florian répond à plusieurs de nos questions dans ce carnet d’auteur consacré à Sur les Traces de Marie Curie.
Qu’est-ce qui a inspiré le concept de Sur les traces de Marie Curie ?
Pour ma part, la création d’un jeu peut débuter de différentes manières : à partir d’un thème qui me plaît ; à partir d’une mécanique que j’apprécie et que je souhaite utiliser ou encore à partir de sensations que je veux transmettre.
Dans le cas de Sur les traces de Marie Curie, le thème fut l’inspiration première. En effet, c’est suite à une discussion avec Manu Beltrando (l’éditeur Sorry We Are French) autour de Sur les traces de Darwin que l’aventure a débuté. Il m’a indiqué qu’ils souhaitaient développer la gamme de Sur les traces de … et en particulier avec le personnage de Marie Curie. J’avais déjà travaillé avec Manu sur mes jeux Greenville 1989 puis Paris 1889 ce qui facilite forcément les échanges. Je suis parti de la discussion avec l’envie de faire un jeu Sur les traces de Marie Curie avec un cahier des charges assez libre (jeu familial ; environ 30 min ; univers fortement présent etc….).
Peux-tu nous expliquer le processus d’incorporation d’éléments historiques dans les mécaniques du jeu ?
Lorsque je crée à partir d’un thème, le début est toujours le même : je me renseigne, je me documente.
J’ai donc passé beaucoup de temps sur le site du Musée Curie ( https://musee.curie.fr/decouvrir/archives-et-collections). J’ai visionné de nombreuses fois cette petite BD pour comprendre la méthode Curie (https://lamethodecurie.fr/). Et bien entendu, j’ai regardé les films Radioactive (de Marjane Satrapi) et Marie Curie (de Marie Noelle).
En parallèle, à chaque ami(e) que je rencontrais, je posais la même question : « Si je te dis Marie Curie, cela te fait penser à quoi ? Tu imagines quoi ? » Les réponses qui ressortaient le plus souvent devaient absolument être dans le jeu « Radioactivité ; Uranium ; Prix Nobel ; Femme forte ; Expérience ; Sorbonne… ».
C’est une fois tous ces éléments en tête que je me suis permis d’imaginer un jeu. Il me semblait important que les joueurs manipulent, réalisent des sortes d’expériences. Ma première ébauche correspondait à un grand laboratoire. Un jeu coopératif dans lequel les joueurs posaient des punchs pour former des outils. Une sorte de jeu à la « Badaboum », on pose des punchs et tout tombe. Honnêtement, cette ébauche n’est restée que dans ma tête, je ne voyais pas comment en faire un jeu plus intéressant qu’un « simple » jeu de dextérité ; je ne voyais pas quelle profondeur apporter.
Je suis ensuite revenu à quelque chose de plus accessible avec des petits cubes en bois. Je suis donc parti sur un jeu de gestion de ressources, accessible à tous les publics. J’ai listé les éléments les plus importants, ceux que je voulais faire apparaître dans le jeu (Université ; Outils ; Laboratoire …) et les dates importantes. Mais il y avait tellement d’événements importants que j’ai eu l’idée de faire une piste chronologique qui allait rythmer la partie ; reprenant la vie de Marie Curie ! Et à la fin de la piste, la fin de la partie. Au fil du développement et pour rester dans le cahier des charges d’un jeu familial, l’éditeur a proposé que la plupart des cases aient un effet, mais que tous les joueurs puissent en profiter ; s’ils ont les ressources adéquates.
Est-ce que des éléments de la vie de Marie Curie (découvertes, événements…) ont influencé des aspects du jeu ?
Pas vraiment, comme j’avais déjà essayé de prendre en compte le maximum d’aspects en amont (cf question précédente). C’est davantage lorsque je me suis mis à écrire l’appendice (qui a été retravaillé ensuite par l’équipe de SWAF), que j’ai trouvé de nombreuses citations de Marie Curie qui sont encore tellement d’actualité. Cela montre à quel point c’était une femme combattive incroyable. En cherchant les applications de la radioactivité, j’ai découvert certaines informations intéressantes, comme le parquet de la Grande galerie du Museum d’Histoire Naturelle à Paris qui avait été bombardé d’éléments radioactifs pour éviter les moisissures. Au-delà des applications dans le domaine de l’énergie ou du médical, la radioactivité est au centre de nombreuses applications… que vous pourrez découvrir dans l’appendice ! Je trouve cela chouette d’avoir un « après » avec le jeu qui permet d’approfondir un thème.
As-tu eu des défis ou problèmes lors de la conception du jeu ?
La tour à cubes a été l’un des défis lors de la conception du jeu. J’avais scanné les « trous » que j’avais faits pour espérer construire deux tours à cubes identiques, l’une pour l’éditeur et l’autre pour moi. On pouvait alors faire nos tests chacun de notre côté et comparer nos sensations. Mais lorsque l’éditeur a commencé à utiliser des prototypes de tours à cubes venant de différents fabricants ; c’est devenu plus délicat. On estimait le taux de rétention chacun de notre côté (quel pourcentage de cubes restait bloqué dans la tour) durant les parties en comptant le nombre de cubes bloqués à la fin de la partie, mais aussi en faisant des tests de manière empirique. Je me souviens avoir mis 100 cubes dans la tour par paquet de 4 (et cela plusieurs fois) pour faire mes calculs et obtenir à la fin un pourcentage proche de celui de l’éditeur.
L’autre défi fut de simplifier certaines de mes propositions dans le game design tout en conservant du challenge et de la rejouabilité. Par exemple, les cartes n’avaient pas de coût. La rivière de carte coûtait du plus cher (2 cubes de radium) au moins cher (2 cubes de n’importe quel minerai) et lors des achats, les cartes se décalaient et leur coût changeaient. Il fallait donc pour les joueurs estimer le gain qu’ils allaient obtenir de telle ou telle carte pour savoir s’ils devaient payer le prix fort ou attendre que la carte se décale, au risque de se la faire piquer par un adversaire. En harmonisant les coûts, on perdait d’un côté et il fallait redonner des effets d’un autre côté.
Il y a eu beaucoup de développement du côté de l’éditeur (notamment avec Manu et Matthieu) et par exemple les petites améliorations de laboratoire que j’avais mis dans les cartes sont devenues les nombreuses expériences à réaliser avec les tuiles Bécher et Ballon. Équilibrer les expériences d’un côté, les effets de la piste chronologique avec la rétention des cubes ou encore les capacités des cartes a donné lieu de nombreuses modifications.
Quelle a été l’élément le plus inattendu/amusant lors du développement du jeu ?
Je pense que c’est vraiment cette tour à cubes. Dès le tout début de mes tests, mes enfants, âgés alors de 8 ans, ont tout de suite été attirés par l’effet de cette tour à cubes. Nous n’avons pas dans notre ludothèque de jeu avec une tour à cubes comme ceci avec rétention. Cela m’a permis de me rassurer sur la voie de développement que je prenais puisqu’ils ont toujours été motivés pour faire des parties.
Et cela s’est confirmé lors des tests. En effet, à chaque partie test, les « nouveaux » joueurs à un moment ou à un autre de la partie ne pouvaient pas s’empêcher de regarder à l’intérieur de la tour pour voir comment cela fonctionnait, quitte à tout faire tomber d’ailleurs 😉 !!!
Qu’espères-tu que les joueurs retiennent de l’expérience procurée par Sur les traces de Marie Curie ?
C’est une belle question, mais pas simple à répondre. Tout d’abord et le plus simplement, j’espère que les joueurs aimeront faire des expériences, manipuler les cubes (en les transformant, les échangeant) et auront autant de plaisir que moi avec les effets de la tour à cubes. C’est ce plaisir de réussir des combinaisons avec ses cubes qui donne le petit frisson de la science. 😉
Ensuite, j’adorerais que le jeu apporte des discussions, entre les joueurs, au sein des familles, sur le thème. Que cela soit à propos des utilisations de la radioactivité dans notre vie de tous les jours, de l’héritage important que nous avons grâce à Marie Curie et bien entendu à propos de Marie Curie elle-même ; c’est-à-dire sur la vie incroyable qu’elle a menée combat après combat sans jamais abdiquer.
Merci Florian Fay d’avoir répondu à nos questions !